Interview de Cécile Delalande – Directrice Artistique d’Ars Anima

Bonjour Cécile, peux tu nous raconter comment tu en es arrivée à créer des projets de sensibilisation du public sur des grands enjeux de société, comme le parcours d’un réfugié, l’alimentation durable ou encore le changement climatique ?

C’est parti de la première expérience que j’ai menée à Handicap International en 1994, sur les mines anti personnelles. On a créé des pyramides de chaussures dans les villes, que les passants étaient invités à faire grossir en jetant leurs propres chaussures. On leur proposait donc de participer très concrètement à un acte de mobilisation militant. C’est de cette façon je pense qu’on a inscrit une nouvelle manière de sensibiliser le public, jusque là plutôt habitué à donner de l’argent pour des causes. Ça a été le démarrage de ma recherche. J’étais passionnée, et je le suis encore, par le fait de trouver des méthodes pour faire en sorte que les gens se sentent touchés, à l’intérieur d’eux-mêmes, par des thématiques à priori éloignées de leur quotidien.

C’est donc par la suite que tu as créé l’association Ars Anima ?

Exactement. J’ai fondé Ars Anima le 8 mars 2004  – c’était un joli hasard – avec l’envie de créer des projets pour faire le lien entre la société civile et le monde institutionnel. J’ai fait le pari de relier les mobilisations citoyennes qui s’exprimaient dans la rue, avec l’institution culturelle et muséale qui était particulièrement bien adaptée pour faciliter l’accueil du public. Cela a mis du temps, ça n’était pas forcément évident pour les uns et pour les autres de s’accueillir. Mais ça s’est fait peu à peu, donnant à chaque fois plus de consistance aux projets qu’on menait auparavant de manière fugitive dans la rue.

Les projets d’Ars Anima ont tous en commun d’inviter les visiteurs à se glisser dans la peau d’un personnage. Est ce que tu peux nous expliquer pourquoi ?

C’est la manière la plus forte de sensibiliser les gens selon moi. On a reçu de tels témoignages à l’issue du premier projet qu’on a mené, au Parc de la Villette à Paris sur le parcours d’un réfugié… (Ndlr : un voyage pas comme les autres). On s’est rendu compte que le fait de glisser les visiteurs dans la peau d’un autre leur permettait de voyager dans un autre univers et en même temps d’établir une résonnance avec leur propre vécu. On partage tous un socle commun de besoins humains fondamentaux : se nourrir, se protéger, se relier à l’autre… En se mettant dans la peau d’un personnage, on établit une connexion entre nos besoins et les siens, et on réalise qu’il s’agit exactement des mêmes. Cela permet de toucher la sensibilité du public et de faire en sorte que la prise de conscience sur différents sujets opère.

Quelle forme est ce que cela prend ? Est ce que les visiteurs doivent enfiler un costume ou apprendre un texte ?

Surtout pas ! L’idée c’est d’arriver complètement détendu. Ce n’est pas toujours simple, on peut avoir des appréhensions. On le sait au sein d’Ars Anima et on y porte attention. On a à cœur d’accueillir les visiteurs de manière chaleureuse. La seule chose qu’ils ont à faire, c’est de se laisser guider par la voix de leur personnage qu’ils entendent au travers d’un casque audio. Cette voix va les emmener en voyage dans un parcours scénographié au contact de sons, lumières et images animées. Un voyage où ils vont également interagir avec des comédiens ! Donc au contraire, il vaut mieux tout laisser de côté, ne rien préparer, et se laisser embarquer.

Ars Anima va bientôt inaugurer un nouveau projet : 24h de la vie d’une femme. Peux-tu nous dire de quoi il traite ?

Avec 24h de la vie d’une femme, on va parler d’égalité entre les femmes et les hommes et entre les filles et les garçons dans le monde. Le scénario est basé sur les histoires vraies de 6 femmes, dans différents pays, qui ont en commun d’avoir été confrontées à des difficultés à des moments précis de leurs vies liées au fait d’être femme. Et de s’en être saisi pour s’engager en faveur de celles qui font face aux mêmes obstacles. Ce sont des parcours de femmes résilientes et inspirantes. Nous souhaitons montrer à travers ce projet qu’effectivement, il y a encore de grandes injustices, mais que les femmes ne sont pas des victimes et qu’elles prennent leur destin en main pour porter des combats plus collectifs. Faire passer l’intérêt commun avant son intérêt personnel en donnant priorité aux nécessités fondamentales de la vie est une tendance partagée que l’on retrouve chez les femmes du monde entier, comme en témoigne Vandana Shiva, études à l’appui, dans sa définition de l’écoféminisme,  “un modèle ou la nature et les femmes associent leurs intelligences ».

Comment t’est venue l’idée de ce projet ?

En fait cela fait très longtemps que dans nos projets, quelle que soit la thématique abordée, on se rend compte que les femmes sont des moteurs puissants d’évolution et de changement de la société. D’où l’envie de dédier cette fois un projet entier à la façon dont elles font évoluer le monde.

Est ce que les hommes aussi peuvent, réellement, se mettre dans la peau d’une femme ?

Bien sûr ! L’objectif c’est de leur proposer, à eux aussi, de vivre l’expérience. On a tous en nous une part d’énergie que l’on pourrait qualifier de féminine à explorer, une part de Yin complémentaire du yang. Je pense que les hommes qui nous entourent aujourd’hui en sont très conscients, bien plus qu’ils ne l’étaient auparavant. Il me semble qu’ils ont envie, pour beaucoup, d’embrasser une vraie égalité et qu’ils souffrent tout autant que leurs filles, leurs mères, leurs sœurs et leurs conjointes quand elles vivent des difficultés. Pour autant, un système de domination patriarcal perdure et maintient une division entre les sexes qui impacte la société tout entière et son développement. C’est ce système qu’il faut combattre. Et cela nous concerne tous.

Pour finir est-ce qu’il y a une femme qui t’inspire en particulier ?

Oui, et ça tombe bien, car elle a accepté que l’on raconte son histoire ! C’est le seul personnage internationalement connu du projet. Il s’agit de Vandana Shiva, cette femme indienne incroyable, figure de proue de l’écoféminisme et de l’alter-mondialisme qui a pris conscience avant tout le monde des dangers de l’agro-industrie, du brevetage du vivant et de l’infertilisation des semences. Elle milite encore aujourd’hui de manière très active. Elle a un courage dans ses prises de parole… dont je suis totalement admirative ! Je suis très heureuse qu’elle ait accepté que l’on raconte son histoire, grâce à la recommandation de Lionel Astruc. Mais pour en savoir plus, il faudra venir faire l’expérience 24h de la vie d’une femme !

On a hâte. Merci beaucoup Cécile.

 

Photo ©Jean François Badias